«L’aéronautique représente un marché de 300 milliards»

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Stefan Kyora

04.08.2017

Depuis près de deux ans, l’astrophysicien bernois Thomas Zurbuchen dirige la recherche à la NASA. Auparavant, il fut fondateur du Center for Entrepreneurship à l’Université du Michigan, rôle dans lequel il accompagnait des centaines de start-ups. Nous avons eu l’occasion de discuter avec lui d’Elon Musk et de questions, telles que les points forts de la Suisse en tant que site de production et les objectifs des cours d’entrepreneuriat.

Monsieur Zurbuchen, le marché de l’aéronautique est beaucoup plus dynamique aujourd’hui qu’il ne l'était, il y a quelques années. Qu’est-ce qui explique cette dynamique?
Elon Musk a joué un rôle décisif. Pendant longtemps, les coûts des lancements de fusées ne cessaient de grimper et il a freiné cette tendance. Les lancements jouent un rôle important et sans lancements, il n’y a ni satellites ni instruments dans l’espace.

L’engouement autour de Space-X et est-il justifié ou juste «hype»?
Lorsque Space-X a commencé à accumuler les revers, j’avais publié un article dans lequel j’avais écrit que Musk pourrait réussir s’il avait de l’argent. Il a pu recruter les meilleurs talents des meilleures universités. Space X connaît aujourd’hui un succès incroyable grâce à ce pari de l’acquisition de talents qu’il a su gagner.

Outre le marché des lancements de fusées que Jeff Bezos que le fondateur d’Amazon et un autre milliardaire de l’Internet ont intégré, existe-t-il d’autres domaines technologiques qui évoluent actuellement de façon très dynamique?
Oui, absolument. Le domaine des petits satellites en fait partie tout comme celui de l’Internet de l’espace. Il y a déjà eu plusieurs tentatives à ce jour, mais qui sont restées vaines.

Quelle est la taille de l’ensemble du marché aujourd’hui?
J'ai récemment lu une étude selon laquelle ce marché représenterait plus de 300 milliards de dollars. C'est donc un marché très important.

La NASA voit-elle les nouveaux acteurs sur le marché de l’aéronautique comme concurrents?
Non. Mon but est de fournir autant de résultats scientifiques que possible pour chaque dollar investi. Si nous pouvons mieux le faire avec des partenaires comme Space-X ou Jeff Bezos‘ Blue Origin, nous allons conclure ce genre de partenariats. Déjà aujourd'hui, par exemple, nous achetons des composants importants pour les satellites sans oublier l’approvisionnement en énergie et l'électronique de communication. Nous n’avons pas à construire tout nous-mêmes.

Où voyez-vous des opportunités pour les entreprises suisses?
Je voudrais faire deux commentaires. Tout d’abord, l’image de la Suisse est certainement meilleures que celle qu’en ont ses citoyens. Deuxièmement, je vis aux États-Unis depuis si longtemps que je ne suis plus expert dans la situation en Suisse. Cependant, j’ai constaté que les Suisses parlent toujours d’innovations de rupture et je doute bien fort de la capacité du pays à offrir les conditions idéales dans ce domaine.

Et quelles sont alors les autres solutions?
La meilleure chose que les suisses puissent faire, c'est de déployer la ou les bonnes technologies dans des produits fiables. C’est en principe le contraire de la rupture telle que je la conçois.

À votre avis, sur quoi cette force particulière de la Suisse repose-t-elle?
Sur les talents dont elle regorge actuellement. La qualité des ingénieurs qui ont un diplôme d’une école spécialisée ou des techniciens possédant un diplôme d’une école professionnelle est spectaculaire. La Suisse doit cela à son système de formation professionnelle. Je me souviens encore d’une situation aux États-Unis. C’était Noël et j’étais à côté d'un technicien devant une machine. Le technicien ne pouvait pas résoudre un problème parce qu’il ne comprenait pas la machine. Ce genre de situations serait inimaginable en Suisse.

Cela signifie-t-il que vous voyez toujours la Suisse comme un site de production aujourd’hui?
Absolument. Je ne connais aucun endroit au monde qui puisse rivaliser avec la Suisse en termes de production. Ce point fort tout à fait unique permet à la Suisse de se démarquer par rapport aux autres endroits ou pays.

Outre les technologies et les techniciens, les entreprises prospères ont également besoin d’entrepreneurs. Avant d’intégrer la NASA, vous aviez lancé un programme d'entrepreneuriat à l’Université du Michigan et accompagné plusieurs centaines de start-ups. Quels aspects de l’entrepreneuriat peut-on apprendre ou non?
Avec le programme d’entrepreneuriat, notre objectif au départ n’était pas de transformer les professeurs et doctorants en entrepreneurs. D'après mon expérience, au maximum dix pour cent des scientifiques sont des talents doubles. L’objectif était de préparer une équipe de scientifiques novateurs, puis de recruter un diplômé en MBA au poste de PDG. Nous leur avons appris à parler la langue des affaires et on peut l’apprendre de la même manière que le français ou l'allemand.

Outre les cours d'entrepreneuriat, que peut-on faire pour promouvoir l’émergence des start-ups?
Effectivement, il y a des choses qu’on peut faire. Je vois trois points en particulier. Premièrement, il faut qu'il y ait un changement de culture dans les universités. Les gens qui lancent des spin-offs devraient être récompensés ou au moins encouragés. Deuxièmement, les personnes ayant une vaste expérience de l’industrie devraient aider dans l’enseignement. Troisièmement, les start-ups ont naturellement besoin de financement provenant des Business Angel et Venture Funds. Sans argent, les bonnes idées ne seront jamais concrétisées

Une dernière question Vous êtes une personne entreprenante. Comment cela s’intègre-t-il dans une organisation bureaucratique à l’image de la NASA?
Ma force est l'activité entrepreneuriale dans les organisations non entrepreneuriales. Je suis un soi-disant intrapreneur, pas un entrepreneur. J'ai pensé depuis longtemps fonder une entreprise, mais j’ai découvert que j’ai plus de talent en que «Change Agent»,

Nous avons pu discuter avec Thomas Zurbuchen en marge de l’événement «NASA et Swiss Space Science» organisé par l'Académie Suisse des sciences naturelles et l'Institut international de sciences spatiales (ISSI). Outre le discours liminaire de Thomas Zurbuchen, qui tournait autour des facteurs de succès des projets d'innovation, le réseau Astrocast de Lausanne et une start-up ont également pris part à une table ronde. Vous pouvez revivre l’événement entier dans la vidéo ci-dessous.

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